Le jeudi 8 avril 2021 est une journée à marquer d’une pierre blanche dans le débat sur la fin de vie. Une proposition de loi a été débattue à l’Assemblée nationale, qui entendait légaliser l’aide active à mourir. Et ce dans le cadre d’une niche parlementaire (une journée pour voter un texte, pas plus). La ténacité d’une large majorité des députés présents fut admirable : il s’agissait d’envoyer un message, même si très rapidement, il était clair que le texte dans son ensemble ne serait pas voté, et qu’aucune discussion n’allait être réellement possible. En effet, quelques élus Les Républicains avaient déposé des milliers d’amendements, pour bloquer le vote de la loi. En face, le texte de loi était envisagé très largement. Les pathologies psychiatriques sont par exemple subrepticement entrées dans son champ d’application en commission, sans que ce ne soit dit explicitement. Car l’assumer prive nécessairement d’un argument “démocratique” : celui de dire que plus de 90% des français soutiennent l’euthanasie vue très largement. Or, rien n’est moins sûr. La loi qui maintient le flou pour ne pas dire où elle veut aller, lorsqu’elle veut aller du côté de l’euthanasie, serait très vraisemblablement jugée inconstitutionnelle par le Conseil constitutionnel, dont il ne fait aucun doute qu’il aurait été saisi ici (il suffit de 60 députés, mais aussi de 60 sénateurs…). A l’inverse, on peut déplorer qu’une loi floue comme la loi Léonetti, qui va en réalité du côté de la vie à tout prix, et des médecins, ne souffre pas d’une telle déclaration d’inconstitutionnalité. Les milliers d’amendements déposés en mode “belle marquise” dans le seul but de paralyser toute discussion (méthode médiocre et de courte vue, s’il en est) empêchaient le dépôt d’amendements constructifs. Car, si de tels amendements avaient été déposés, cela aurait ajouté de la pagaille à la pagaille. Cette configuration a contribué à cliver toujours plus, entre les pro-vie et les pro-choix tendance “liberté totale”, avec une majorité au centre qui n’avait aucun espace pour s’exprimer. Mais la force de cette majorité a été de voter le premier article de la loi, seule façon d’envoyer un message clair : le débat doit avoir lieu, sereinement. La loi n’avait aucune chance de passer, mais il ne fallait pas ajouter de la frustration à la frustration. Les peurs sont légitimes, mais la loi ne peut contribuer à les maintenir ou à les justifier. Or, tel est le cas de la loi Léonetti, qui laisse toute interprétation à la subjectivité du médecin. Tel est également le cas d’une loi qui laisserait à quelques médecins le soin de l’interpréter en n’écoutant que la subjectivité du patient, en dehors de toute considération médicale (car il est compliqué de démontrer que quelqu’un qui demande à mourir n’est pas en souffrance…). Il faut 288 députés pour que la majorité absolue soit obtenue (dans l’éventualité où la totalité des députés sont présents à l’Assemblée, ce qui n’arrive pour ainsi dire jamais). 272 députés ont signé une tribune dans le JDD avant le vote pour demander à avoir le droit de débattre. Lors du vote, en pleine crise sanitaire, tard le soir, lors d’une session de niche parlementaire qui n’avait aucune chance d’aboutir, l’article 1er de la loi a été voté à une écrasante majorité : 240 pour, 48 contre. Vendredi 7 mai (presque un mois après le vote de cet article), Le Monde nous apprenait que 300 députés avaient envoyé un courrier au premier ministre lui demandant à ce que le débat sur la fin de vie ait lieu, dans des conditions qui permettent un vrai débat, en laissant le temps au temps. Précisément ce que demandaient les défenseurs de la loi Léonetti lorsque la proposition de loi Falorni était débattue. Rappelons à nos lecteurs le premier alinéa de l’article 24 de la Constitution du 4 octobre 1958 : « le Parlement vote la loi. Il contrôle l’action du Gouvernement ». Il semblerait que ce soit plutôt le gouvernement qui contrôle l’action du Parlement… C’est un travers de la Cinquième République qui en entraîne d’autres : le Conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM), fan de la loi Léonetti en ce qu’elle appuie sa vision de la médecine, semble peser plus lourd que l’Assemblée nationale sur ce débat. Le CNOM a fait savoir son opposition à toute évolution de la loi. Olivier Véran, médecin et ministre de la santé, a soutenu devant les députés que la loi actuelle était suffisante, et qu’elle serait mieux appliquée à l’avenir. Sans expliquer comment cela se produirait, ni même ce que signifie appliquer la loi Léonetti : en cas d’obstination déraisonnable (dont seul le médecin en charge a la définition), le médecin en charge peut arrêter des traitements. Comme il peut ne pas le faire. Dans les deux cas, il applique la loi. Indépendamment du patient. 300 députés qui demandent à débattre sur l’aide active à mourir, qui est illégale en France, cela signifie nécessairement que 300 députés, chacun avec leurs sensibilités, veulent voter un texte de loi légalisant l’aide active à mourir. C’est-à-dire la majorité absolue de l’organe qui a le dernier mot en la matière. Que va-t-on leur répondre : qu’il vaudrait mieux débattre plutôt que de vouloir débattre ? Que les français préfèrent la vie à la mort ? C’est le cas d’à peu près toute personne en bonne santé, mais quitte à envisager la mort, les français l’envisagent plus sereinement avec l’aide active à mourir qu’avec un acte non assumé et arbitraire comme c’est le cas actuellement. Voir à cet égard le dernier billet publié sur notre blog, témoignage d’Isabelle DAILLON qui a accompagné son père longtemps, très longtemps, et dans des conditions pour le moins atroces, face à une médecine dont le système de défense n’est que trop connu maintenant. Les défenseurs de la loi actuelle ne pourront en réalité plus apparaître pour autre chose que ce qu’ils sont : des gens qui considèrent que la légitimité nationale ne pèse rien face à celle dont ils se sentent investis. Qui n’envisagent ce sujet que comme un choix de civilisation au lieu d’envisager les demandes au cas par cas, et qui n’emploient les termes de “débat” et de “cas par cas” que pour ne pas débattre et ne pas individualiser (en tout cas pas le patient ;  peut-être le médecin). Nous attendons la suite. Les adeptes du silence gêné sur ce sujet seront bien obligés de se positionner. Et ce débat fera partie de l’élection présidentielle à venir, que les tenants de la loi actuelle le veuillent ou non. Notre association, comme d’autres, leur demanderont de s’exprimer sur le sujet de toute façon, et de répondre notamment à cette simple question : peut-on considérer la motivation profonde d’une personne, qui peut ne pas vouloir aller au bout des traitements, et vouloir être accompagnée médicalement par une équipe, à terminer sa vie comme elle le souhaite, dans la bienveillance et le respect de sa volonté ? Le 15 avril dernier, une semaine pile après ce vote, nous avons tenu une visioconférence avec Madame Laurence TRASTOUR-ISNART, député “Les Républicains” de la 6ᵉ circonscription des Alpes-Maritimes. Elle a voté le texte. Dans son groupe, sur les présents, c’était à peu près moitié/moitié. Mais il y avait beaucoup d’absents, et donc beaucoup d’indécis. C’était pour nous intéressant de parler avec quelqu’un membre d’un parti qui n’est traditionnellement pas d’accord avec le principe de l’aide active à mourir, et qui a ici abrité les “saboteurs”. Nos échanges ont été extrêmement constructifs, et sans langue de bois. Laurence TRASTOUR-ISNART tenait des propos mesurés, loin de ce clivage décrit plus haut et souvent en cours dans les médias. Vous en saurez plus sur sa vision de la fin de vie bientôt, puisqu’elle devrait publier un billet sur notre blog Nous pensons que la différence entre les 272 députés de la tribune dans le JDD et les 300 députés du courrier au premier ministre provient de députés comme Madame TRASTOUR-ISNART, essentiels, réfléchis, adeptes du débat et méfiants des clivages qui permettent à chaque extrême de justifier sa position par l’autre extrême. Nous restons en contact avec elle, et avec d’autres députés. Nous continuons d’échanger, de faire de nouvelles rencontres, bref, d’avancer. Convaincus que ce qui s’est passé ce 8 avril à l’Assemblée a ouvert des portes, et des perspectives, dans d’autres lieux et instances. En attendant que le débat revienne à l’Assemblée.

La loi Léonetti est une loi élitiste. Non pas qu’il s’agisse d’élites médicales (contre lesquelles nous n’avons rien), mais bien plutôt de personnes qui aiment penser qu’elles sont supérieures à la masse, et ont une vision, disons, expansive de la médecine, puisque celle-ci sert aussi à évangéliser les consciences. La mort, ce sujet sensible, angoissant, et inconnu des vivants, malgré les diverses représentations, religieuses ou non, que l’on peut en avoir, les médecins seraient mieux préparés pour y faire face… Le sujet étant sensible, et les opinions diverses, sur ce sujet-là au moins pense-t-elle qu’on ne pourra jamais lui demander de rendre des comptes. Ou alors, pas trop. Et puis poliment.

Une logique orientée patient/pragmatisme nécessite l’inverse : parce que c’est un sujet sensible, il faut mettre les moyens pour que la loi soit appliquée et applicable, sans prendre soin des médecins (et de leurs ego) pendant des années. Et ce au détriment des patients, et de leurs proches, que l’on force à se complaire dans une situation sordide et supposément salvatrice et/ou rédemptrice. Pour au final se féliciter de cette humanité dont la société a pu faire preuve et de cette belle unanimité retrouvée entre les défenseurs de la loi et les défenseurs de la vie à tout prix contre les “assassins”. Il ne faut pas que ce soit trop facile à obtenir, la mort, tout le monde sinon la demanderait. Cela doit être réservé aux plus vaillants… 

Le cas d’Alain Cocq rentre dans le cadre de la loi. Nous renvoyons nos lecteurs au billet qui lui a été consacré sur notre blog ou directement à l’article L. 1110-5-2 du code de la santé publique.

Il a été dit, répété, martelé, que son cas n’entrait pas dans le cadre de la loi. Nous avons décidé de jouer la transparence : il a et avait droit à une sédation profonde et continue, car atteint d’une maladie grave et incurable, et alors que l’arrêt des traitements engageait son pronostic vital. Peu importe dans ce cas, pour la loi, qu’il soit en fin de vie ou non.

Le refus d’abandonner son corps souffrant pendant que son esprit est endormi pendant des journées entières, la volonté de montrer ce que le corps subit même quand il apparaît endormi : c’était cela, le débat. Prétendre que son cas n’entrait pas dans le cadre de la loi permettait à certains présidents d’association de faire leur show. Car ils aiment apparaître comme lavant plus blanc que blanc (y compris d’ailleurs quand ils ne sont pas dans l’opposition mais au pouvoir). Mais cela ne fait pas avancer la cause. Et surtout conforte les élites dans leur certitude : une fois la propagande engagée, puis terminée, ils arrivent et rétablissent la vérité (souvenez-vous, on ne les entendait que très peu pendant l’affaire Cocq, ils laissent parler pour ensuite se placer en sachants). Et se disent ensuite que si le peuple savait, il lui donnerait sans aucun doute un satisfecit. Au passage, ils en profitent pour faire passer un recul pour une envie de vivre redécouverte grâce à l’absence de fin “brutale” ou grâce à la torture infligée (par choix, puisque la loi lui interdit de souffrir).

Nous renvoyons nos lecteurs à la lettre d’Alain Cocq, publiée sur notre site. Dans l’écoute des autres et la défense des plus vulnérables, il peut s’avérer préférable d’écouter les gens plutôt que de parler à leur place et de faire leur bien contre leur gré en prétendant qu’ils comprendront plus tard…

Malheureusement, beaucoup sont convaincus de la légitimité de tels propos, ne comprenant pas que les personnes, y compris médecins, favorables à la vie à tout prix, sont protégées par le concept même de sédation profonde et continue. La “subtilité” qu’il recouvre permet en réalité tous les abus. Et permet surtout à une médecine frustrée et revancharde de ne pas subir l’affront de l’avortement, où la loi a été imposée alors qu’une majorité d’entre eux n’y était pas favorable. Cette fois-ci, il y aura unanimité dans le monde de la médecine. Grâce à un ennemi commun : l’aide active à mourir, et les non médecins (les médecins pratiquant l’aide active à mourir se soignant petit à petit), qui doivent rester à leur place et laisser faire passivement. Ils restent persuadés que l’interdit de tuer n’existe plus dès lors que l’aide active à mourir est légalisée, même encadrée. Selon eux, elle est, par définition, un abus.

Ces deux débats, l’avortement et la fin de vie, sont selon nous différents, mais ils génèrent les mêmes opposants. Qui n’ont pas leur mot à dire pour le premier, et sont décideurs dans le second. Dans ce parallèle, l’apaisement dont on nous rebat les oreilles à longueur de temps, c’est celui de 1974 (la loi a été promulguée le 17 janvier 1975), si Madame Veil avait enfin accepté de prendre la place qui lui était naturellement assignée : dans sa cuisine. Le vrai apaisement, il est venu après. Dans le cadre de la fin de vie, il s’agirait d’une loi, quelle qu’elle soit, qui assume de prendre position sur un sujet sensible. Même l’arrêt des traitements ne fera jamais l’unanimité.

Raison pour laquelle nous avons décidé nous de recentrer le débat dès que cela était possible. L’élite dont on parle se trouve des excuses, tout le temps. Il serait bien que de notre côté, nous ne lui en fournissions pas. Et elle transgresse, souvent. Que dire du “constat” selon lequel Alain Cocq était sous influence fait par des médecins l’ayant vu à la télé, quand il est suivi par un psychiatre ?

A cet égard, Alain Cocq a eu un entretien téléphonique avec Mme Anne-Marie Armanteras (Conseillère santé, handicap, personnes âgées à l’Elysée) le 25 août dernier à 16h30. Il avait demandé à ce que François Lambert puisse y participer. Refus de l’Elysée. On en a rapporté les raisons à François, qui a ensuite pu dire ce qu’il en pensait par mail à Madame Armanteras, notamment que l’Elysée avait clairement choisi son camp, et ses contradicteurs. Ceux dont on peut dire sans trop mentir qu’ils sont favorables à une liberté totale, et qu’ils ne sont pas spécialement pragmatiques et/ou concrets.

Ils continueront évidemment de le dire de toute personne en désaccord avec eux, mais le but est de pouvoir quand-même ne pas avoir à se cacher lorsqu’on dénonce leurs perpétuelles manipulations.

Et de pouvoir se servir des tribunes républicaines. Raison pour laquelle nous sommes fiers de pouvoir vous annoncer que fin août, la pétition de Nathalie Debernardi a atteint les 500 000 signatures, ce qui a entraîné une saisine automatique du CESE.

Un objectif auquel Nathalie a travaillé sans relâche depuis 2014. Dès ce franchissement, une nouvelle prise de contact a été faite avec le CESE. Nous vous informerons évidemment des avancées.

En parallèle, nous tentons, hors radar, de contacter des élus qui pourraient être sensibles à notre façon, que nous considérons nouvelle, d’appréhender la fin de vie. Il est trop tôt pour en parler plus précisément, mais des contacts se nouent, petit à petit. Nous tenterons autant que faire se peut d’ajouter au site du contenu vidéo de nos rencontres, quand cela viendra.

Le combat sera long, surtout sans mise en branle d’une volonté politique au sommet. Elle arrivera un jour, le tout sera d’être prêt, et de récolter alors tout ce travail de terrain (et de fourmi) que nous engageons.

Cette newsletter, la première, est courte. Les autres le seront aussi, très vraisemblablement. Nous ne recenserons pas tous les faits divers, les anecdotes… Notre but, et nous sommes très loin de l’avoir atteint, est d’inciter nos lecteurs à se saisir de ce sujet compliqué, humainement éprouvant, sans les en rendre “addict”. Et sans qu’ils aient besoin de se faire violence. A l’image du cadre légal que nous appelons de nos vœux, et à l’inverse de ce qui se passe maintenant, avec le monopole sur ce sujet des pompiers pyromanes qui aiment à angoisser le peuple pour ensuite le calmer. L’évangélisation, toujours… 

 

 

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